Manifestations

Beau succès de la nouvelle édition du Concours de nouvelles Marcel Pagnol à Aubagne en Provence

Événement créé par Nicolas Pagnol, Daniel Picouly et Floryse Grimaud.
Événement créé par Nicolas Pagnol, Daniel Picouly et Floryse Grimaud.

Vendredi 16 novembre, les lauréats du deuxième Concours de nouvelles Marcel Pagnol ont reçu leurs prix sur la scène du cinéma Le Pagnol à Aubagne, en présence du Premier adjoint de la ville, Alain Rousset, de l’élu de la culture Philippe Amy, des membres du jury et d’Henri Aissa de l’association culturelle AD2C.

Cet événement créé par Nicolas Pagnol, Daniel Picouly et Floryse Grimaud, pour le bonheur des écrivains amateurs,trouve son rythme de croisière et les participants sont nombreux pour prendre part à ces joutes littéraires inspirées par Marcel Pagnol. 

Cette année, les candidats devaient prolonger un incipit rédigé par Daniel Picouly qui  s’inspirait du Schpountz. 

Nicolas Pagnol a tenu à souligner la qualité d’écriture de ces nouvelles et surtout la connaissance de l’œuvre de Marcel Pagnol qu’elles montraient.

Le jury 

Autour de Nicolas Pagnol, Daniel Picouly et Floryse Grimaud , le jury est composé de Valérie Berthelot (ville d’Aubagne), d’Olga Bibiloni (rédactrice en chef Culture La Provence), Sandrine Taddeï (Europe 1), Marie-France Bertin (directrice Université du temps libre et Nathalie Sarrabaysouse(responsable de la Médiathèque Marcel Pagnol) 

L’incipit 2018 : le Schountz super héros

« Irénée en est certain  c’est son jour. Le jour de sa vie. Il va enfin devenir le Schpountz aux yeux du monde entier. Pour l’instant, il n’est que le fada de la minuscule épicerie « Alimentation Tabac » de son improbable village perdu dans les collines. Son épicerie est une réplique approximative de celle du film « Le Schpountz » de Marcel Pagnol. Il y expose des anchois des tropiques qu’il déconseille au peu de clients « pour raisons sanitaires » et vend des casseroles uniquement pour radiateur d’autos en panne. Son costume a plus de revers que de costume, sa moustache se décolle au soleil et sa raie dans les cheveux lui partage la bonne humeur en deux. Il a posé sur sa table de chevet, un modèle réduit d’un cabriolet Peugeot 601 pour figurer sa réussite à venir : bref ! il est le Schpountz : le vrai. 

Et cela va exploser comme une évidence dans une heure sur la scène du Comédia d’Aubagne. Il a hâte. Il s’est préparé à l’audition. Il ne lui reste plus qu’à récupérer cet invraisemblable costume de Schpountz qu’il a dessiné lui-même. Son arme secrète. Pas de Schpountz sans costume. Il apparaîtra et cela suffira. Irénée entend déjà la salle scander son nom. Le costume est là. Unique. Irénée manque défaillir. La veste est roulée en boule dans une corbeille à croissants sous le robinet du bidon de pétrole.

Son costume est fichu. Son rêve évanoui. Il reste 54 minutes à Irénée avant l’audition… »

Les trois nouvelles lauréates 

Premier Prix : « L’authentique Schpountz » de Corinne Curt

«  Pas de Schpountz sans costume ? Oui mais sans Schpountz, à quoi sert le costume ? La production se chargera bien de lui en créer un à la mesure de son talent après son triomphe pendant l’audition. Il pourra même les conseiller. En toute modestie bien sûr. Après tout l’habit ne fait pas le Schpountz : on naît Schpountz, on est Schpountz dans l’âme ou on ne l’est pas ! Ça, le jury le verra immédiatement. Des années qu’il s’entraîne à l’épicerie en vantant la qualité de ses produits sur tous les tons. Nul ne sait comme lui adopter un ton salé pour vendre la morue, coulant pour le camembert ou mimer une peur bleue pour le roquefort. Allez boulegan, 3 minutes avant le passage du bus vers Aubagne, vers la gloire. Il se voit déjà en haut de l’affiche !

Irénée entend le bus arriver bien avant de le voir. Il faut dire que bus cymbale autant qu’un essaim de cigales dans une pinède en plein été et fume au moins autant qu’une sardinade. Le véhicule, dans un dernier souffle, s’échoue à l’arrêt de bus et le regarde avec des yeux de merlan frit. Irénée voit un banc de personnes esquichées comme des anchois qui sortent en marronnant après le chauffeur. Celui-ci change l’affichage pour l’inscription « Dépôt ». Effectivement le bus est bien déposé là au milieu de son circuit… Le prochain bus ne passera que dans 30 minutes. Impossible d’attendre.

Irénée dégaine alors son portable et mitraille à toute allure sur l’application « Blague-Blague Car » pour tenter de trouver un moyen de se rendre à Aubagne en temps voulu. Par chance, Galejadountz (drôle de pseudo mais pas le temps de s’attarder) va partir des Accates en direction d’Aubagne et devrait donc passer à Eoures d’ici 5 minutes : parfait !

La voiture arrive : Irénée a un mouvement de recul en découvrant que Galejadountz n’est autre que Jean Pati, l’un de ses anciens collègues de classe qui l’avait souvent gansaillédans la cour. Il faut dire qu’à l’époque ce Pati était beaucoup plus balèze que lui et rêvait aussi de faire l’acteur. Depuis, ils se sont perdus de vue. Galejadountz fusille Irénée du regard mais finalement ne fait pas le mariole et l’embarque. Curieusement, quand Irénée lui dit qu’il se rend au Comoedia, Jean marmonne qu’il le sait bien et se mure dans un silence belliqueux. Tant pis, ce n’est pas aujourd’hui qu’ils feront la paix… Tout à son proche et inévitable succès, Irénée ne se laisse pas déconcentrer.

Quinze minutes plus tard, la voiture passe devant le théâtre bardé d’une grande affiche : « Casting Schpountz ». Galejadountz se gare un peu plus loin. Les 2 occupants descendent de la voiture et alors qu’Irénée, poli, s’apprête à dire au revoir à Galejadountz (adieu serait mieux pense-t-il), celui-ci récupère une housse de costume à l’arrière de la voiture et prend la direction du Comoedia d’un pas vif, sans le saluer. Irénée a un peu pitié de son ancien collègue en pensant qu’il n’a aucune chance face à lui. Cette fois, c’est lui qui aura le dessus : la loi du plus Schpountz n’est pas la loi du plus fort…

Irénée entre en conquérant dans le théâtre et se présente avec superbe à la secrétaire. Elle note l’arrivée d’Irénée sur la liste des inscrits à l’audition qui n’a pas l’air très longue. Et oui, peuchère, il y a dû y avoir des démissions en masse quand la présence d’Irénée a dû se savoir. La secrétaire lui indique qu’il y a 2 candidats avant lui. Le premier d’entre eux sort d’ailleurs juste de la salle de spectacle et rejoint l’autre soi-disant Schpountz. Irénée manque s’esclaffer en entendant leur accent : comme si le Schpountz pouvait avoir l’accent pointu ! D’après la secrétaire, la salle est comble et le public exigeant, n’hésite pas à huer les mauvais concurrents. Irénée n’est pas inquiet du tout mais se rapproche tout de même de la porte pour écouter les réactions des spectateurs. Dans 15 minutes c’est son tour et bientôt son nom s’étalera sur les affiches en 10 fois plus gros que n’importe qui !

Pendant ce temps, Galejadountz a enfilé un costume, veste et pantalon assortis, coupé dans un tissu « marinière ». Raté pour la « French Touch » : avec son air patibulaire, il a tout d’un bagnard.

Alors que le candidat sort de la salle d’audition et qu’Irénée s’apprête à savourer son triomphe, on entend des sirènes au loin. Elles se rapprochent. Des voitures de police arrivent à toute allure et se garent en vrac devant le Comoedia… A partir de là tout va très vite : Irénée voit Galejadountz se précipiter vers la salle d’audition l’air de celui qui a quelque chose à se reprocher. Irénée fonce derrière lui pour aider la police et aussi, un petit peu, parce que ça lui donne une bonne raison de le gansailler à son tour. Si l’audition est annulée à cause de ça, il ne répond plus de rien ! S’en suit une course poursuite dans le théâtre : Irénée saute sur la scène, s’empêtre les pieds dans le tapis et manque s’affaler, se raccroche à un élément du décor qui tombe avec fracas. Il lui semble entendre la salle rire à gorge déployée. Etrange pense-t-il, la situation est pourtant grave, le public doit bien voir la police derrière lui. Il remonte alors l’allée derrière Galejadountz qui se retrouve bloqué au niveau des derniers fauteuils de l’orchestre. Irénée commence à sautiller comme un boxeur les poings fermés. Jean Pati n’oppose aucune résistance. Non, pas de doute, la salle est en train de se tordre de rire… Irénée jette un coup d’œil derrière lui pensant que quelque chose de spécial est en train de se passer sur l’estrade, mais non rien, rien de rien. Etrangement, les policiers sont là sur la scène mais ne paraissent pas vouloir bouger. Les personnes de la production se sont levées et regardent dans sa direction. Un silence oppressant puis très vite les applaudissements. Une salve d’applaudissements. Tout le public est debout. Irénée ne sait plus trop où il en est. Il tient Galejadountz par la manche quand même, au cas où.

La production demande alors au public de faire silence et à Irénée de monter sur scène. Celui-ci s’exécute en traînant Galejadountz derrière lui. Le producteur explique alors à Irénée qu’il vient de faire un bout d’essai pour leur prochain film. C’est Glen Hurtis le scénariste qui a découvert le talent d’acteur d’Irénée, un dimanche matin. Glen a été conquis par le ton sucré d’Irénée pour lui vendre du miel, énergique pour le café, acide pour les citrons et glacial pour les sorbets. Des acteurs et des personnes de la production sont aussi passés depuis quelques mois pour le voir et l’écouter vanter ses produits sur tous les tons. Irénée comprend alors pourquoi sa petite affaire prospère depuis ce temps-là. La production était donc sûre des talents d’acteur d’Irénée mais il fallait vérifier sa grandeur d’âme pour qu’il puisse être LE Schpountz. Ainsi, tout ce qui s’était passé depuis 54 minutes avait été minutieusement manigancé par la production : le costume sous le bidon de pétrole, la soi-disant audition ouverte à tous, le car en panne avec des acteurs jouant les voyageurs et le chauffeur de bus, l’arrivée de Jean Pati, cascadeur de son état, mais qui avait tenu à se rattraper de son comportement quand il était minot, l’arrivée des policiers fictifs. La seule chose de vrai était l’enjeu de cette audition. Irénée avait pleinement montré sa grandeur d’âme d’abord en ne se joignant pas aux jérémiades des voyageurs du bus, puis dans la voiture de Jean Pati en restant cordial et enfin en n’écoutant que son courage pour poursuivre le prétendu malfaiteur. Il avait aussi, à cette dernière occasion, confirmé son jeu d’acteur. Malgré toutes ses certitudes, Irénée a un peu le vire vire, il lui semble que la scène tangue. Son don reconnu de tous !

Deux ans plus tard, heureux et parfaitement à l’aise, il est sous les projecteurs d’une salle bien plus grande. Accompagné de trois autres comédiens, deux femmes et un homme, il salue la foule en liesse. C’est la première de la projection du film produit par DC Comiques « Les 4 Authentiques : Ils craignent dégun ! » 

Deuxième Prix : « Tragi-Comoedia » de Bernard Royer

« En un instant il bascule dans le cauchemar : tout est perdu ! Comment réparer aussi vite les dégâts? Quel tour lamentable ! Fallait-il qu’ils le craignent pour l’éliminer d’emblée? Submergé par un déluge de sentiments où se mêlent colère, abattement, dépit et tristesse, il se retient de hurler, de pleurer ou de cogner au hasard les curieux. Si certains osent le narguer, la plupart se tiennent à distance, guettant ses réactions.

Dans un silence tendu, tous le regardent sortir un à un de la corbeille ses vêtements souillés : l’extravagant costume dont la queue de pie – un trait de génie – pend lamentablement, dégoulinante de pétrole, l’élégant chapeau avachi, les souliers vernis abîmés ; la fière moustache s’est ratatinée et la chemise a perdu blancheur et apprêt.

Irénée, le regard vide, laisse tomber le tout dans la flaque huileuse et nauséabonde où il patauge…
A ce moment-là, – négligence ou comble de cruauté? – un mégot incandescent tombe dans le liquide. Vlouf ! La nappe s’enflamme, embrasant les effets entassés. Stupeur, cris, bousculades. Affolé, le régisseur saisit un seau d’eau et le déverse sur le foyer, initiative malencontreuse qui décuple la force des flammes. Plus lucide, un machiniste attaque le feu avec une pelle et, de ses godillots, le pompier de service piétine les affaires d’Irénée, imité par le groupe qui foule allègrement les pauvres oripeaux, à jamais détériorés.

Alors chacun s’écarte des hideuses dépouilles fumantes, laissant face au désastre Irénée qui lance les dents serrées :

— Parfait ! La blague est réussie ! Finita la commedia ! Belle reconstitution du début très connu du Schpountz ! Le coup du mégot et le foulage … C’EST DU GRAND ART ! Les vendanges sont faites mais pour moi : la lie ! L’hallali même ! Ah là là ! Vous tous, lâches, jaloux, mesquins, pouvez parader : flambée ma carrière, le four complet ! Me voilà cramé, aussi carbonisé que mes effets ! Vous les jugiez mauvais en tout ? Maintenant ils ne sont plus bons à rien ! Vraiment quel manque d’élégance de votre part ! A présent quittez les coulisses !

Seuls sont restés le régisseur et Glen Hurtis. Ce dernier, tout en mâchonnant son cigare, tape sur l’épaule du fada.

— Poor boy ! Pas très fair-play ! Sorry, Mister Irwéné mais vous êtes game over !
— Monsieur Irénéheu, réagissez, vous êtes plein de ressources !
— Les ressources, justement, c’est ce qui me manque: j’ai tout englouti dans ma tenue.
— Té, il y a un Monoprix à côté et je vous avance un peu d’argent. N’oublions pas le magasin des accessoires. Ne jetez pas l’éponge !
— Môssieur Firmin, j’ai perdu un round mais ne suis pas K.O., n’en déplaise à Mistère Hurtisse…
Déception au dépôt d’accessoires: armes rouillées, bicyclette déglinguée, casque cabossé, espadrilles percées, drapeau défraîchi ; dans un carton la casquette et le foulard de Marius et les imposantes charentaises d’un Malade Imaginaire. Bref, un inventaire à la Prévert mais rien pour un super héros !

L’heure tourne…

Dans un état second, Irénée file au Monoprix, visite divers rayons et regagne au galop sa loge, après un détour par les accessoires. La sonnerie annonce le début du casting. Dans cette atmosphère électrique, Irénée quitte en catimini sa loge. Derrière le pendillon du fond, côté jardin, il épie les concurrents entrant à tour de rôle et les réactions du public.

En collant vert et jaune, le premier, SUPERPIVERT, affublé d’un nez démesuré en métal, rappelle le Croquignol des Pieds Nickelés ; il utilise ce redoutable appendice contre une porte. Sa démonstration tourne court : le nez postiche coincé dans le bois, il repart déconfit.

Entre en sautant BAT RACIEN. Trop démonstratif, il perd un boudin de suspension et sort sous les lazzis des mangeurs de grenouilles !

Une appétissante odeur de soupe précède LA BOUILLE ABBESSE, imposante matrone armée d’une louche et d’une écumoire et suivie comme au premier avril d’une théorie de poissons multicolores. Le public apprécie cette championne de la gastronomie provençale.

Un clown lui succède, APEROGUST ; nez rutilant et impressionnantes paluches, il n’amuse personne et s’éclipse illico.

Masqué, soutane noire et crucifix multifonctions voici SUPERMOINE, prêt à excommunier et à envoyer au diable mécréants et malfaisants. Il file avant que détracteurs et supporters ne s’étripent, remplacé par le GRANDNAINPORTEQUOI. Ce dynamique petit personnage évoque Maupi le barman du Schpountz. Son bagout lui vaut des applaudissements nourris mais il rate toutes ses cascades et repart sous les huées.

SUPERNOËL et SUPERSONIC font un passage éclair.

Des pas ébranlent la scène, chacun retient son souffle : LUPINBAGNAT ! Ce colosse vêtu d’un justaucorps tricolore siglé d’un énorme sandwich se rit des serrures ou des grilles de métal. Son bonnet caméra et son pain rond transformable en mitraillette Thomson impressionnent les gens, tout autant que la manière dont il engloutit son casse croûte, tel Popeye ses épinards. Il part sous les ovations.

Le silence revient… Entracte.

Irénée qui voudrait fuir ce cauchemar ignore les signes du régisseur mais ce dernier le propulse sur scène et le présentateur annonce : « SUPERMARCEL et son VELOCIFEROX ».

Le public ahuri découvre un improbable personnage, coiffé d’une casquette trop petite posée de guingois sur une mèche folle, la moustache grossièrement tracée, un foulard noué à la diable autour du cou. Un marcel blanc fait ressortir ses longs bras décharnés et le caleçon assorti est retenu par une large taillole tricolore. D’énormes charentaises complètent l’ensemble. Il rappelle Marius, César, Aimable le boulanger ou Pascal le puisatier mais évoque aussi Superdupont le héros franchouillard de Gotlib ! Et voilà qu’il tente d’enfourcher le vélo qu’il a remonté au jugé, dans les coulisses, permutant les éléments. Exercice périlleux que de pédaler à l’envers, avec un guidon qui ne contrôle rien et une selle qui tourne sans cesse ! Les chutes succèdent aux tentatives avortées pour dompter le bien nommé Vélociférox qui finit par exploser avec fracas : la chaîne rompue rend l’âme, arrachant une pantoufle qui dévoile une espadrille usée jusqu’à la corde, le cadre se dessoude et Irénée se retrouve à plat ventre. Il se relève, ramasse selle et guidon, armes improvisées qu’il pointe vers les spectateurs muets.

Comme il va sortir quelqu’un pouffe, un autre s’esclaffe, la tension se libère: c’est l’explosion. Du parterre au balcon, le Comoedia est balayé d’un tsunami de rires qui se déplace de siège en siège, comme une ola ! Murs et sol tremblent. Autour d’Hurtis qui reste de marbre, ses assistants hoquètent, au bord de l’apoplexie. Irénée, submergé par cette vague d’hilarité, tangue, une sueur glacée dans le dos. C’est un cauchemar ! Je vais me réveiller… Hélas ! Glen Hurtis prend le micro, obtient le silence. C’est foutu, il va faire de moi un fada confirmé, la risée du pays d’Aubagne.

— Je vous remercie Mister Irwéné pour cette remarquable interprétation du Schpountz. Une franche rigolade secoue la salle : quel humour ce Glen !
Mais l’Américain élève la voix :
— Je le répète : quelle interprétation remarquable ! Grâce à vous j’ai retrouvé les personnages de Pagnol que j’aime. De surcroît, alors que je vous pensais fini, j’ai apprécié votre ténacité naïve mais efficace, face au terrible VélociferoxVoilà la candeur, la spontanéité que je recherchais ! Je vous engage en tant que SUPERSCHPOUNTZ !

Stupeur générale. Quelques applaudissements fusent, suivis d’autres en cascade, aussi puissants que l’étaient les rires auparavant.

Irénée déstabilisé regarde l’assistance en délire. C’est gagné, les autres peuvent se rhabiller!
Il lève la main, obtenant illico le silence, et s’éclaircit la voix :
— Moi ? SuperSchpountz ? Vous avez cru que j’étais celui que vous attendiez ? Le superfada ? Je vous ai bien eu, mais c’est vous qui êtes les Schpountz, vous que ma pitoyable prestation a fait rire.

Sa voix adopte les puissantes intonations de Fernandel et il se retourne vers les concurrents :

— Quant à vous, messieurs, qui avez délibérément abîmé la tenue dont j’étais si fier- trop sans doute à vos yeux- vous êtes des Schpountz malfaisants.

Pivotant vers les Américains, il ajoute :

— Mistère Hurtisse, je vous décerne le titre de Roi des Schpountz, à partager avec votre cour et la multinationale qui vous charge de trouver ce ridicule frenchy naïf pour vendre vos produits. On connaît la formule : time is money, donc je ne vais pas vous en faire perdre plus !

Irénée ramasse les accessoires éparpillés et quitte dignement la scène. 

Ainsi s’est achevé cet unique et mémorable casting au théâtre Comoedia auquel Hurtis, reparti aux U.S.A, n’a pas donné suite. Irénée revenu au village sans subir de remarques a repris son activité dans le magasin familial, suggérant même des améliorations à la satisfaction générale.

Un dimanche matin, un étrange feulement de fauve le tire du lit, suivi de bruits dissonants.

Devant l’épicerie, un coupé flambant neuf. Sur le siège une grosse enveloppe à son nom. Les gamins à l’affût le voient parcourir, en souriant, les imprimés.

Avant de rentrer il lance à la cantonade :

— Le premier qui touchera au klaxon recevra un coup de pied au derrière, le … Mais vous savez la suite si vous avez vu le film !

Ces derniers mots prononcés à voix haute font sursauter son petit-fils :

— Tu parles de quel film ? La version de Pagnol ou celle en couleurs d’Oury tournée en 1999 ? Glen Hurtis a eu la bonne idée d’organiser ce festival de cinéma consacré au Schpountz… Mais tu n’aurais pas un peu dormi ? » 

Troisième Prix : « Silence on tourne… » de Nicole Delorme

“Je n’ arriverai pas à temps!
…..54 minutes, il ne me reste que 54 minutes….
Comment oser monter sur scène, autrement que dans ma blouse grise d’épicier d’Eoures, à odeurs d’anchois, et de morue sèche, au lieu de mon costume, couleurs soleil couchant sur Garlaban?”Galvanisé par l’urgence, il fonce dans la remise de Mestre Arnaud, fourrage dans ses
caisses, ses corbeilles, ses vieux tiroirs, trouve sa pipe, antique, ses lorgnons, et s’en affuble. “Non, ça ne va pas, ça ne fera rêver personne, ces vieilleries” se dit Irénée.
45 minutes.
Tel que, il enfourche son vélo d’épicier- livreur, file vers Aubagne, vole plutôt, prend au large les virages du Pin Vert, nuages de moustiques, crissements de cigales, chaleur à casser
les pierres.

Le Comoedia. Il jette à terre son vélo, dévale les escaliers du magasin d’accessoires.

Personne.
Les autres sont déjà prêts, évidemment.
32 minutes.
Il déballe à toute vitesse des caisses et des caisses de vieux costumes défraîchis.
“ Comment parader avec ça? Faire une entrée sur scène extraordinaire? Ce qui comptera dans le casting, c’est l’effet de surprise!.
Ce qui comptera, c’est que j’aie une vraie figure de réussite!
Et pas une figure de grand couillon d’épicerie!”
D’un geste qu’il a voulu impérial, il lance sur ses épaules une large cape, qu’il vient de dénicher, et qui camoufle bien sa blouse .
Verte, elle est, la cape.“ Vert, c’est pas ma couleur préférée, mais je n’ai plus le choix, et tous les verts ne sont- ils pas dans la nature que j’aime?….”


“ D’abord pas rater mon entrée. Ça peut encore être mon jour.”
12 minutes.
Il jette un regard du côté d’un miroir piqueté.
Se trouve une allure un rien romantique, assez grandiose finalement. Presque, il s’aime…
Glen H, lui, est en transes. Y’a urgence à trouver un scénario innovant, son avenir dans le
cinéma en dépend, on le lui a bien fait comprendre.
Resté longtemps à sec d’idées, ici, en Provence, il a, dans ses longues balades, respiré un air nouveau, dans les pas et les mots d’un écrivain inspirant. Une oeuvre doit naître, fraîche comme un souvenir d’enfance. Sûr.

Glen espère découvrir, pour ce casting de la dernière chance, son personnage singulier.
En Amérique on lui a dit: “C’est tous des fadas, les gens de là-bas, leur cerveau est recuit par le soleil!”
Chiche!
Coup d’oeil sur les candidats déjà rassemblés. Que du stéréotypé, des figures de
mode. “Pas de ça, plus de ça.” se dit-il.
“ C’est tout ce qu’on a comme candidats?”
- “oui, ils sont tous là, sauf un…”
0 mn.
- “Voilà voilà, j’arrive!” Irénée jaillit sur la scène.
- “C’est qui ce jobastre” murmurent les candidats, oeil ironique sur la cape verte.”
Glen, lui, observe Irénée, oeil professionnel.
- “Vous croyez pouvoir être un Schpountz, vous?”
- “ J’en suis sûr, car c’est aujourd’hui jeudi, je suis né un jeudi, influence Jupiter, Dieu de la lumière et du ciel, symboles de ma Provence, tous les espoirs me sont permis!
- “Let’s go!”ose Glen, à demi convaincu.

– “ Comment ????
Ce n’est pas en anglais qu’on parle ici, Monsieur, c’est en provençal, notre langue à nous, celle des troubadours, la langue des amours, la langue qui chante, s’enflamme Irénée.
- “ Et toi, tu as la langue bien pendue, en tous cas!”
Glen retient un sourire, les autres se rassurent, ce vert olibrius déjanté ne leur fera pas concurrence. – “Je suis votre homme, dit Irénée, je vais prendre les foules à bras le corps, à bras le coeur, les rendre vivantes, et meilleures”
- “Meilleures?”
- “C’est ça. Toute oeuvre se doit d’être un levain, toute oeuvre se doit de changer quelque chose en chacun, pour participer à changer le monde! Ecrivez- moi un beau scénario, donnez- moi le beau rôle, et je vous fais un film inoubliable!”
- “C’est-à-dire?”
- “ C’est-à-dire qu’après, on dira : “c’est le film de Hurtis qui a tout déclenché” et que, chacun dans son coin, se demandera ce qu’il peut faire pour améliorer les choses autour de lui!”
- “ Rien que ça?”
- “Oui, et ça urge! Ça commencera petit, petit, mais faut commencer.”
Glen se dit qu’il le tenait peut-être, son héros, son Schpountz, tandis que fusent les sarcasmes des autres candidats.
Glen va jouer son va-tout.
Il va décider d’imposer Irénée à l’équipe de tournage, au risque de.
Les candidats recalés, stupéfaits, se mettent à imaginer toutes les formes possibles d’élimination du lauréat. Une sacrée bonne idée, ce serait, de le faire disparaître! Répugnant tout de même à le tuer, car ils ont de la morale, et surtout peur de la sanction, ils passent en revue tout ce qui pourrait entraver la sélection du naïf à la cape verte:
Une femme fatale entre les pattes? Une overdose de somnifères?

Une chute du haut du Cap Canaille? Une arête de rascasse dans la bouillabaisse?

Le sabotage de ses freins de vélo? Une enveloppe conséquente de gros billets? Un essaim d’abeilles dans son lit ???

Glen quant à lui, se demande quelle corde a vibré en lui au diapason des utopies d’Irénée.
Mais sa décision est prise.
Il sait que les ennuis ne vont pas manquer, et invite Irénée à une promenade en colline, histoire de mieux se connaître.
Des bleus, des blancs, des gris de rocailles raclées de vent, des herbes sèches sur les crêtes sciées de chaleur …sur les pentes du Taoumé, ils prennent un bain d’énergie, ce qui n’étonne pas Irénée, ce qui galvanise Glen.
“Oui, se dit-il, ce futur film pourrait bien devenir le détonateur d’une prise de conscience
collective des périls menaçant notre terre, chaque pas, chaque regard, le persuadant d’agir, tandis qu’ Irénée raconte ce qu’il sait et redoute, de certaines menaces locales:
Les boues rouges de Gardanne, dont les évacuations, sillonnant sous leurs pieds jusqu’à la mer, affleurent sous les thyms, les cystes et les rares points d’eau.
Le plan fou d’une base de loisirs géante dans le discret vallon de Passe-Temps,
l’extraction au coeur de Garlaban d’un minerai inexploité utilisable dans l’électronique des smartphones, toutes ces hérésies parmi tant d’autres, qui s’ajoutent aux menaçantes causes naturelles et climatiques, la planète ayant ses raisons que les hommes ….
C’est ainsi qu’Irénée rêve depuis longtemps d’implanter, par les restanques à restaurer, de nouvelles espèces florales et agricoles: du fond de son épicerie, en attente de clients, et après une
émission de télévision qui l’a fasciné, il a osé écrire à la réserve mondiale du Svalbard, près du Pôle Nord, et développer son projet.

Car c’est là que dorment cent cinquante mille variétés de graines mises en sécurité par des agronomes soucieux de préserver le vivant. De ce coffre- fort géant, les chercheurs, convaincus de la bonne volonté de ce français pour le moins bizarre, lui ont fait parvenir, un impressionnant stock de semences rares. Chacune d’elle est un espoir.
Ahuri, Glen prend, de la part de ce petit homme vert, qui ne quitte plus sa cape, une grande leçon.

Il fait sienne la folie d’Irénée.
Un plan est mis au point:
Chaque billet de cinéma sera assorti d’un sachet de graines à semer, à faire grandir et reproduire, à démultiplier. Enthousiasmés, ils imaginent déjà la parure verte des ergs, la fertilité des
vallées asséchées, la renaissance des campagnes, la floraison des prairies, la multiplications des jardins nourriciers. la couverture des déserts par des forêts, le cycle de l’eau restauré.
Déjà, les voilà rêvant du hameau de La Treille, devenu modèle mondial d’une agriculture et d’un mode de vie d’où naîtra une géopolitique nouvelle…
Ils dévalent la colline, figures épanouies d’audacieux fertilisateurs.
Ils tombent sur les figures de comploteurs des héros refoulés.
Eux: coups d’oeil rageurs, ruminations, climat d’émeute.
“Vite, prendre ces aigris de vitesse, avant qu’ils n’agissent, les insérer dans le projet, qu’ils le fassent leur, et l’adoptent.” se dit Glen, et vite, me mettre au scénario”
“Vite, préparer des centaines, des milliers de sachets de graines, se dit Irénée, les mettre au creux des mains des récalcitrants, ils ne pourront rester insensibles.”
“ Quel naïf, cet Irénée, se dit la planète, mais bon, vite, me préparer à un possible renouveau , enfin!”
Ça se corse, de tous côtés, on s’agite, l’effervescence est à son comble.
Les deux camps tirent à la corde: Schpountzera? Schpountzera pas?
Qui pensez-vous qui gagna? Ce fut la planète qui l’emporta.
Par monts et par vaux, d’échos en échos, on entendit bientôt suivi d’un:

“ SILENCE, ON TOURNE !!!” “SILENCE, ON PLANTE!!!” »

Les lauréats ont été récompensés par de très jolis lots dotés par la Ville d’Aubagne et l’Association AD2C.

Pour plus d’informations sur le Concours de nouvelles Marcel Pagnol : www.aubagne.fr

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