Exposition FKDL pour l’inauguration du Pôle Culturel d’Allauch
30 septembre 2024
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« Ça fait plus de trente ans que je cherche ces bobines. J’ai toujours pensé qu’elles existaient quelque part. Et là… elles tombent du ciel! »
Nicolas Pagnol écarte les bras, souffle coupé. Un immense sourire barre le visage du petit-fils du dramaturge. Il vide d’un trait son verre de Pouilly-fumé, puis se penche en hochant la tête: « Oui, on a retrouvé une copie de La Prière aux étoiles! »
Pour les admirateurs du cinéaste, ce film est comparable au Graal des chrétiens ou au dahu des montagnards. Quelque chose dont tout le monde a entendu parler, mais que personne n’a jamais vu.
Et pour cause: le long-métrage, réalisé par l’auteur du Schpountz, n’a jamais été achevé.
« Mon grand-père a écrit le scénario en 1939, précise Nicolas. Un petit événement – le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale – l’a obligé à différer le tournage jusqu’en août 1941. C’était son projet le plus ambitieux; il voulait réaliser trois films, une nouvelle trilogie après Marius, Fanny et César. C’était aussi son projet le plus personnel. Il a mis beaucoup de lui-même dans ses personnages. »
Pagnol file alors le parfait amour avec la comédienne Josette Day. Elle est à ses côtés lorsqu’il filme les premières scènes à Cassis, près de Marseille, avec son ami Pierre Blanchar et quelques sociétaires de sa « troupe »: Fernand Charpin, Jean Chevrier, Milly Mathis et Marguerite Moreno.
Très vite, cependant, les choses se compliquent. Même en zone libre, il faut faire avec les pénuries de tissu, de bois, de fer, de peinture et les rationnements d’électricité. Trouver de la pellicule de bonne qualité relève de la gageure; une semaine entière de travail est gâchée à cause de cela.
Surtout, Marcel est de plus en plus courtisé par le patron de la firme allemande Continental. Alfred Greven lui fait savoir que sa compagnie serait « ravie » de distribuer les futurs long-métrages. Le genre de « proposition » difficile à refuser sous l’Occupation.
Alors Pagnol botte en touche. Il affirme sans ciller que les séquences déjà tournées sont inexploitables. Elles vont être détruites. Et le projet abandonné.
Greven fronce les sourcils. Il veut assister lui-même à la destruction des pellicules. Deux jours plus tard, Marcel s’exécute. Il fait venir un huissier et, sous le regard médusé de son équipe, détruit à la hache les bobines de La Prière.
Le cinéaste espérait tout reprendre à zéro après la Libération. « Cette expérience me servira grandement lorsque je pourrai, enfin, réaliser ces films », écrivait-il en 1944 (1). Le destin en décide autrement. Fernand Charpin meurt d’une crise cardiaque, le 7 novembre 1944, à l’âge de 57 ans. Josette Day sort de la vie de Marcel. Sa nouvelle compagne, Jacqueline, refuse d’interpréter le rôle inspiré par l’amour d’une autre.
La Prière aux étoiles rejoint le cimetière des films mort-nés.
Mais Pagnol a-t-il réellement détruit toutes les bobines?
« Dans les années soixante, mon grand-père a confié à un journaliste qu’il existait au moins une copie complète, souligne Nicolas Pagnol. Le problème, c’est que son fonds cinématographique a été transféré d’un entrepôt à l’autre, avant d’être déposé en 1979 au Centre national du cinéma (CNC) par mon oncle René (2). » Au fil des décennies, quelques courtes séquences réapparaissent – rien de vraiment probant.
Jusqu’à ce qu’un étudiant corse de 27 ans, Valécien Bonnot-Gallucci, entre en scène. Doctorant en histoire de l’art à l’université Paris I Sorbonne, il prépare une thèse sur les rapports entre le cinéma et la littérature dans les années 1920. Tout naturellement, il en vient à s’intéresser à Pagnol « qui incarne, en France, la transition du film muet vers le parlant. »
« J’ai entendu parler de La Prière aux étoiles, explique le jeune homme, et je souhaitais en apprendre davantage. J’ai contacté Nicolas Pagnol qui m’a conseillé d’aller consulter les archives du CNC. »
En décembre 2023, le Bastiais demande à visionner les séquences disponibles. Et là, surprise: « On me sort huit bobines montées, d’une durée d’environ 80 minutes, en parfait état de conservation. »
Aussitôt prévenu, le petit-fils de Marcel accourt. Il « tombe à la renverse » en découvrant « ces images d’une qualité exceptionnelle, sans le moindre faux raccord ».
« C’était là depuis des lustres sans qu’on le sache », soupire-t-il. Depuis « le début des années soixante-dix, précise la Direction du patrimoine du CNC, qui mentionne « un don anonyme. »
Nicolas Pagnol est convaincu qu’il s’agit de la copie de travail (3) évoquée par son grand-père. De là à déduire que les deux films complets, achevés avant que le cinéaste ne jette l’éponge, dorment quelque part dans les entrepôts de Bois-d’Arcy, il n’y a qu’un pas… que le quinquagénaire, enthousiaste, franchit sans hésiter.
Verra-t-on un jour prochain ces images sauvées de l’oubli? « Évidemment, sourit Nicolas Pagnol. Mais il faut trouver le bon moyen pour les mettre en valeur, en expliquant au public qu’il ne va pas voir un film complet… pour l’instant. »
Cela se fera sans doute en 2025, afin de coïncider avec les célébrations des 130 ans de la naissance de Marcel, marquées notamment par la sortie d’un biopic d’animation réalisé par Sylvain Chomet (4).
« À Cannes, ce serait formidable, glisse le petit-fils du cinéaste. D’autant que l’on célébrera l’an prochain les 70 ans de la Palme d’or, créée par un président qui n’était autre que… Marcel Pagnol. »
Lionel Paoli/Nice Matin
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